Monday, August 20, 2012

LFF2012 - Interview de Jihane Chouaib

SELECTION- “Pays rêvé"
Documentaire (voir article ci-dessous
LFF 2012 - COMPÉTITION (Partie 4/4) )


Ton film commence avec l’arrivée au Liban, l’atterrissage, le carton de demande de visa à remplir. Décris-nous un peu l’état d’esprit dans lequel tu te trouves à ce moment-là.

C'est un sentiment très contradictoire, paradoxal. L'impression de rentrer chez soi, et en même temps l'impression d'être étrangère. Invariablement, le douanier raye « libanaise » et souligne « française ». Pourtant, au fond de moi, il y a un lieu que j'appelle « Liban, mon pays ». Qu'est-ce qui constitue mon identité ? La nationalité de mon passeport, ou celle de mon paysage intérieur, mon pays rêvé ? Et qu'est-ce qu'une identité qui ne se fonde pas sur la terre, la religion, ou même la langue ? Est-ce qu'elle peut se revendiquer ? Est-ce qu'elle peut se partager ?
Le film commence donc comme une quête identitaire. Comment rentrer « chez soi », quand tout a changé, quand on a passé toute sa vie ailleurs... ? On pourrait dire que c'est impossible, impossible d'effacer la guerre, l'exil, le mélange, les années passées à parler – et même penser – dans une autre langue. Et pourtant, moi comme les personnes que j'emmène dans l'aventure du film, nous continuons à nous dire aussi Libanais. J'ai donc l'intuition qu'il y a quelque chose à repenser dans la notion d'identité, une nécessité contemporaine d'y intégrer plus d'ambiguité, et plus de liberté. En tous cas, « se trouver », d'un point de vue identitaire, dans un monde où les mouvements de populations sont si fréquents, ce ne peut absolument pas être se coller un drapeau sur le front. Le Liban dont je parle dans le film est un pays intérieur, imaginaire – on pourrait dire les Libans, les Libans individuels... !
 
Qu’aimerais-tu faire ressentir ou faire comprendre au spectateur ?

Mais Pays rêvé n'est pas un film sur le Liban. Notre exil, c'est l'exil de tout être humain qui est obligé d'abandonner le monde de son enfance, même lorsqu'il reste au même endroit. On est tous obligés d'abandonner cette part de nous-mêmes, pour grandir, ou simplement pour survivre. Et en même temps, ce monde imaginaire est à nous, il nous fonde, nous nourrit, nous avons le droit de le revendiquer. L'explorer, le travailler, jouer avec, même, le réinventer - ça apporte une forme de liberté.
Comme personne, j'aimerais que ce film questionne le rapport de ceux qui le verront à leur propre identité, à leur propre pays rêvé.Comme réalisatrice, j'aimerais que ce film soit vécu comme un voyage intérieur et permette de toucher une sensation particulière, entre douceur et massacre.

Dans ton documentaire Wajdi Mouawad confie : « Je veux savoir par quoi j’ai été plié pour pouvoir le déplier. J’ai besoin de savoir comment cette société a éduqué ses enfants, comment moi j’ai été éduqué, de quoi on m’a convaincu pour pouvoir m’en déconvaincre… ».
Toi, as-tu besoin de te « déconvaincre» ? Quelle éducation t-a été transmise ?

J'ai moins ressenti le besoin de me dé-convaincre, peut-être parce que mon éducation était déjà très mêlée, mixée, hétéroclite. Ma mère est d'origine Syrienne, mon père Libanais du Sénégal, et ils n'avaient (ils n'ont) ni l'un ni l'autre d'esprit « communautaire ». De plus, j'ai quitté le Liban plus jeune que Wajdi, et je n'ai pas tellement fréquenté ensuite les « communautés » libanaises à l'étranger. Mon héritage libanais est donc plus confus, plus sensitif, moins organisé.

Dans mon rapport enfantin à la politique, il y a un jeu qui amusait beaucoup les cousins de mon père, il s'agissait de prononcer le nom de Golda Meir d'une manière particulière pour me faire pleurer et prouver ainsi que même un bébé comprend les méfaits du sionisme. Mais il y a surtout la certitude des enfants mexicains des années 80 : c'était bien Ronald Reagan qui se cachait sous le masque de Dark Vador...

Tu fais partie des Libanais(e)s qui sont à la recherche de leurs identité, dans une démarche de retour vers le pays natal ou d’origine, mais bon nombre d’entre vous cherchent encore à quitter le pays. Que penses tu de cette démarche ? 

Je la comprends tout à fait. Je crois que l'identité libanaise elle-même contient l'exil, en quelque sorte, l'exil en fait partie. Par ailleurs, ce que je cherche dans le film c'est un pays intérieur, mémoriel, rêvé, imaginaire. Ce pays-là, on peut l'emmener partout où l'on va.

Ton film a été présenté au World Film Festival à Montréal et à la Mostra Sao Paulo au Brésil où la communauté d’expatriés libanais est très grande. Quelles ont été leurs réactions face à ton film ?

Des retours souvent émus, et émouvants. Des spectateurs qui se reconnaissaient, et qui étaient assez bouleversés de se replonger dans cette question-là, qu'ils n'ont pas tellement l'habitude d'exprimer, de partager. Il y a quelque chose de très sincère dans les paroles des personnages du film, presque comme s'ils pensaient à voix haute, comme si l'on entrait à l'intérieur de leur tête. Du coup, un rapport très intime se crée avec certains spectateurs, qui en quelque sorte se mettent à dialoguer, à partager leur imaginaire avec celui du film. Mais ces réactions ne sont pas réservées aux expatriés. Le sentiment de perte et d'exil se partage bien au-delà.
 
Où en es-tu avec ton premier long métrage de fiction « Breathe » ? (Qui d’ailleurs explore la même thématique de la quête de l’identité) ?

Le projet s'appelle Mon souffle, en France, et dans ma tête il s'appelle Rouhi. Il s'agit de frère et sœur, d'Antigone et d'un jardin, d'une maison en ruine et du goût des figues... J'espère le tourner dans un an, au Liban.
Par ailleurs, j'ai envie de mettre en scène de la danse, c'est l'art vivant qui m'excite le plus, mais ce n'est pas pour maintenant...

Aout 2012
Interview réalisé par Lucile Gasber
 

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