Thursday, August 16, 2012

LFF2012 - Interview de Pascale Abou Jamra


SELECTION- “Derrière moi les oliviers"
Premier Film - Fiction (voir article LFF 2012 - COMPÉTITION (Partie 1/4) )

Ton premier film traite des répercussions de l’implication d’un père de famille en tant qu’agent de l’armée de « Lahd »* sur ces deux enfants. Quelles sont les raisons qui t’ont décidées de parler de ce sujet ?

Je suis du sud du Liban. Ainsi, je souhaitais parler d’un fait réel, qui touche cette région-là. En commençant mes recherches, j’ai fait le constat que le cas des familles de Lahd est tabou et peu discuté. La position adoptée par la génération des parents est retransmise aux enfants et ainsi les enfants à leur tour jugent et considèrent ces personnes comme des traitres. Dans mon film par exemple, Georges, le frère de Mariam, souffre des insultes de ses camarades de classe envers lui.  De nombreuses familles sont touchées et ne sont pas traitées de façon normale : elles ne sont pas bien intégrées voire rejetées par certains citoyens libanais. J’ai vécu avec eux et ai été témoin de leurs problèmes. Malheureusement, il y a même des familles qui pensent retourner en Israël parce qu’elles sont rejetées dans leurs propres pays. Tout cela m’a poussé à prendre l’engagement de les supporter à travers un film.
 
Tu as effectué un vrai travail de recherche sur le terrain, pourquoi avoir choisi de faire une fiction et non un documentaire ?

En fait, l’idée première était bien de faire un documentaire. Ce projet de film a commencé il y a deux ans. En effet, le film est initialement basé sur une histoire réelle. Cependant, lorsque le personnage principal n’était pas prêt à se confier pleinement à moi, j’ai décidé d’adapter son histoire et d’en faire une fiction. Elle a eu peur de mon projet de film et est encore très effrayée de raconter son histoire.  Elle craint d’avoir des problèmes ou qu’il y ait une polémique… Cela m’a incité moi-même à plus de prudence dans ma façon de traiter ce sujet; de l’aborder ni de manière trop politique ou trop légère. De plus, je lui ai promis que ce film n’allait pas la toucher. J’espère tout de même que ce film pourrait d’une façon ou d’une autre aider cette fille. Le fait d’en parler et d’amener le public à réfléchir sur cette problématique est déjà un bon début. En général, je suis passionnée de documentaires. J’ai déjà travaillé pour Al-Jazeera auparavant, fait quelques documentaires et puis sinon des fictions courtes lors de mes études. Mais je m’oriente vers le documentaire et le grand écran.

Considérant la sensibilité du sujet, de l’écriture du script jusqu’au tournage as-tu fait face à des difficultés pour réaliser le film que tu désirais ?

Il est vrai que le sujet de mon film est délicat. J’ai effectué de l’autocensure dans ma façon d’écrire, car je ne voulais pas créer de polémique. Je traite de l’aspect social et non politique de ce sujet. Je ne parle pas des gens qui ont été intégré à Lahd, mais des enfants. Cela a facilité la demande de permis auprès  de la sécurité nationale, de l’UNIFIL, du Hezbollah, de l’armée.
La difficulté était la responsabilité d’une grande équipe alors que nous étions en train de tourner près de la frontière…c’était tendu. Mais heureusement l’armée et l’UNIFIL étaient toujours présentes lorsque de l’autre côté des chars israéliens passaient régulièrement pour voir ce qu’il se passait. C’était une grande aventure pour toute l’équipe !
Mais j’ai aussi eu beaucoup de difficultés à trouver une actrice qui veuille bien jouer ce rôle. Surtout que je cherchais une fille du sud et d’autant plus jeune. Cela implique donc également l’obtention de l’autorisation des parents. Ainsi, j’ai décidé de jouer ce rôle. Aucun problème supplémentaire, car je prenais moi-même la responsabilité. Et étant proche de tous les acteurs, je pensais que ça allait être utile pour la direction. Une vraie atmosphère de famille s’est créé lors du tournage, qui réunissait autant des personnes âgés que Charbel - le jeune garçon qui interprète son propre rôle dans le film. De vrais liens se sont établis. On a filmé dans ma maison, avec ma famille et on a vécu là-bas. Chaque nuit après le tournage, il y avait une réunion, on faisait la fête. En fait, toute l’équipe était heureuse et le village était très accueillant, c’était un véritable évènement !
Je suis excitée de voir le film avec l’équipe, les acteurs et ma famille qui n’ont pas encore vu le film fini sur grand écran.

Quels ont été tes sentiments en interprétant ce rôle ?

J’ai ressenti un vrai sentiment de révolte, de révolution… et pas seulement pendant le tournage. Aussi pendant mon travail de recherche et lors de l’écriture du script. J’ai pu rencontrer bien plus de personnes que je n’imaginais. Des personnes qui ne parlaient pas de ce sujet et qui sont venues vers moi pour m’aider quand elles ont su que je traitais ce sujet. J’ai profondément envie de faire quelque chose pour cette jeune femme, qu’on aborde ce sujet et que ces personnes soient intégrées.

 As-tu présenté ton film dans les villages au sud ?

Pas encore…Tout est passé très vite : la projection à l’Alba, puis Cannes… C’est la première fois qu’il est projeté au Liban. Mais j’envisage de le projeter là-bas suivi éventuellement par une discussion.

Raconte-nous ton expérience à Cannes, ta sélection pour le programme Cinéfondation et surtout en compétition…

Cannes a ouvert des portes pour le film. Il est actuellement sélectionné pour d’autres festivals, notamment pour le Festival International de Dubai en décembre prochain et aussi en Italie, en Australie, Turquie,… Cette expérience a été très touchante. Cannes était la première. Je voyais pour la première fois mon film sur un grand écran et cela devant un Grand jury international. Les retours étaient très positifs et il y a même des personnes qui ont pleuré à la fin du film. Ces personnes étaient pour certains des libanais. Là-bas, je me suis rendue compte que le sujet ne touchait pas seulement moi, mais aussi d’autres et des internationaux. Parmi les réalisateurs qui présentaient leurs films, une réalisatrice était d’Israël. Même elle a été touchée par le film. Nous n’avons pas discuté mais j’ai su qu’elle attendait avec impatience de voir le film. Nous sommes de deux pays ennemi entre lesquels il existe un problème politique beaucoup plus grand que moi et elle, et on ne peut pas briser ce mur là. Mais, je pense avoir parlé avec cette personne à travers mon film.

Quels sont tes projets d’avenir après cette année riche en émotion et succès ?

En ce moment, je vis et travaille au Qatar. Mais dans le futur je souhaiterais tourner ici au Liban.  Pour l’instant, il me faut sortir un peu, voir les choses d’un point de vue extérieur, éloigné. Cela est utile pour analyser les choses d’une autre façon, ça t’enrichit et t’aide beaucoup: de connaitre le point de vue des étrangers par rapport au Liban par exemple, par rapport à la situation libanaise et ses problèmes politiques et sociaux.

Finalement, quelle est ta vision concernant le cinéma libanais pour les prochaines années ?

Déjà ces dernières années il a fait beaucoup de progrès. Ça te pousse beaucoup plus et surtout à y croire. Je pense que dans quelques années,  le cinéma libanais va marquer le cinéma international. Il y a beaucoup de sujets qu’il peut aborder…et on ne manque pas de talents. Ce qui bloque c’est malheureusement la censure. Parfois, ce sont aussi les réalisateurs qui ont peur de traiter certains sujets. 


*L’armée de « Lahd » ou Armée du Liban Sud (ALS), du nom du général Antoine Lahd, était une milice alliée à l’armée israélienne jusqu’à la libération du sud du Liban en 2000.


Aout 2012
Interview réalisé par Lucile Gasber

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