SELECTION- “Derrière moi les
oliviers"
Premier Film - Fiction (voir article LFF 2012 - COMPÉTITION (Partie 1/4) )
Premier Film - Fiction (voir article LFF 2012 - COMPÉTITION (Partie 1/4) )
Ton premier film traite des répercussions de l’implication d’un père de famille en tant qu’agent de l’armée de « Lahd »* sur ces deux enfants. Quelles sont les raisons qui t’ont décidées de parler de ce sujet ?
Je suis du sud du Liban. Ainsi, je souhaitais parler d’un fait réel, qui touche
cette région-là. En commençant mes recherches, j’ai fait le constat que le cas
des familles de Lahd est tabou et peu discuté. La position adoptée par la
génération des parents est retransmise aux enfants et ainsi les enfants à leur
tour jugent et considèrent ces personnes comme des traitres. Dans mon
film par exemple, Georges, le frère de Mariam, souffre des insultes de ses
camarades de classe envers lui. De nombreuses familles sont touchées et
ne sont pas traitées de façon normale : elles ne sont pas bien
intégrées voire rejetées par certains citoyens libanais. J’ai vécu avec
eux et ai été témoin de leurs problèmes. Malheureusement, il y a même des
familles qui pensent retourner en Israël parce qu’elles sont rejetées dans leurs
propres pays. Tout cela m’a poussé à prendre l’engagement de les supporter à
travers un film.
Tu as effectué un vrai travail de
recherche sur le terrain, pourquoi avoir choisi de faire une fiction et non un
documentaire ?
En fait, l’idée première était bien de faire un
documentaire. Ce projet de film a commencé il y a deux ans. En effet, le film est initialement basé sur une
histoire réelle. Cependant, lorsque le personnage principal n’était pas prêt à se
confier pleinement à moi, j’ai décidé d’adapter son histoire et d’en faire une
fiction. Elle a eu peur de mon projet de film et est encore très effrayée de
raconter son histoire. Elle craint d’avoir des problèmes ou qu’il y ait
une polémique… Cela m’a incité moi-même à plus de prudence dans ma façon de
traiter ce sujet; de l’aborder ni de manière trop politique ou trop légère. De
plus, je lui ai promis que ce film n’allait pas la toucher. J’espère tout de
même que ce film pourrait d’une façon ou d’une autre aider cette fille. Le fait
d’en parler et d’amener le public à réfléchir sur cette problématique est déjà
un bon début. En général, je suis passionnée de documentaires. J’ai déjà travaillé
pour Al-Jazeera auparavant, fait quelques documentaires et puis sinon des
fictions courtes lors de mes études. Mais je m’oriente vers le documentaire et
le grand écran.
Considérant
la sensibilité du sujet, de l’écriture du script jusqu’au tournage as-tu fait
face à des difficultés pour réaliser le film que tu désirais ?
Il est vrai que le sujet de mon film est
délicat. J’ai effectué de l’autocensure
dans ma façon d’écrire, car je ne voulais pas créer de polémique. Je traite de
l’aspect social et non politique de ce sujet. Je ne parle pas des gens qui ont
été intégré à Lahd, mais des enfants. Cela a facilité la demande de permis
auprès de la sécurité nationale, de
l’UNIFIL, du Hezbollah, de l’armée.
La difficulté était la
responsabilité d’une grande équipe alors que nous étions en train de tourner
près de la frontière…c’était tendu. Mais heureusement l’armée et l’UNIFIL étaient
toujours présentes lorsque de l’autre côté des chars israéliens passaient
régulièrement pour voir ce qu’il se passait. C’était une grande aventure pour
toute l’équipe !
Mais j’ai aussi eu beaucoup de difficultés à
trouver une actrice qui veuille bien jouer ce rôle. Surtout que je cherchais
une fille du sud et d’autant plus jeune. Cela implique donc également l’obtention
de l’autorisation des parents. Ainsi, j’ai décidé de jouer ce rôle. Aucun
problème supplémentaire, car je prenais moi-même la responsabilité. Et étant
proche de tous les acteurs, je pensais que ça allait être utile pour la
direction. Une vraie atmosphère de famille s’est créé lors du tournage, qui
réunissait autant des personnes âgés que Charbel - le jeune garçon qui
interprète son propre rôle dans le film. De vrais liens se sont établis. On a filmé dans ma maison, avec ma famille et
on a vécu là-bas. Chaque nuit après le tournage, il y avait une réunion, on
faisait la fête. En fait, toute l’équipe était heureuse et le village était
très accueillant, c’était un véritable évènement !
Je suis excitée de
voir le film avec l’équipe, les acteurs et ma famille qui n’ont pas encore vu
le film fini sur grand écran.
Quels ont été
tes sentiments en interprétant ce rôle ?
J’ai ressenti un vrai sentiment de révolte, de
révolution… et pas seulement pendant le tournage. Aussi pendant mon travail de
recherche et lors de l’écriture du script. J’ai pu rencontrer bien plus de
personnes que je n’imaginais. Des personnes qui ne parlaient pas de ce sujet et
qui sont venues vers moi pour m’aider quand elles ont su que je traitais ce sujet.
J’ai profondément envie de faire quelque chose pour cette jeune femme, qu’on
aborde ce sujet et que ces personnes soient intégrées.
As-tu présenté ton film dans
les villages au sud ?
Pas encore…Tout est passé très
vite : la projection à l’Alba, puis Cannes… C’est la première fois
qu’il est projeté au Liban. Mais j’envisage de le projeter là-bas suivi
éventuellement par une discussion.
Raconte-nous
ton expérience à Cannes, ta sélection pour le programme Cinéfondation et
surtout en compétition…
Cannes a ouvert des portes pour le film. Il est actuellement
sélectionné pour d’autres festivals, notamment pour le Festival International
de Dubai en décembre prochain et aussi en Italie, en Australie, Turquie,… Cette
expérience a été très touchante. Cannes était la première. Je voyais pour la
première fois mon film sur un grand écran et cela devant un Grand jury
international. Les retours étaient très positifs et il y a même des personnes qui
ont pleuré à la fin du film. Ces personnes étaient pour certains des
libanais. Là-bas, je me suis rendue compte que le sujet ne touchait pas
seulement moi, mais aussi d’autres et des internationaux. Parmi les
réalisateurs qui présentaient leurs films, une réalisatrice était d’Israël. Même
elle a été touchée par le film. Nous n’avons pas discuté mais j’ai su qu’elle
attendait avec impatience de voir le film. Nous sommes de deux pays ennemi entre
lesquels il existe un problème politique beaucoup plus grand que moi et elle, et
on ne peut pas briser ce mur là. Mais, je pense avoir parlé avec cette personne
à travers mon film.
Quels sont
tes projets d’avenir après cette année riche en émotion et succès ?
En ce moment, je vis et travaille au Qatar. Mais
dans le futur je souhaiterais tourner ici au Liban. Pour l’instant, il me faut sortir un peu,
voir les choses d’un point de vue extérieur, éloigné. Cela est utile pour
analyser les choses d’une autre façon, ça t’enrichit et t’aide beaucoup: de connaitre le point de vue des étrangers par
rapport au Liban par exemple, par rapport à la situation libanaise et ses problèmes
politiques et sociaux.
Finalement,
quelle est ta vision concernant le cinéma libanais pour les prochaines
années ?
Déjà ces dernières années il a fait beaucoup de
progrès. Ça te pousse beaucoup plus et surtout à y croire. Je pense que dans
quelques années, le cinéma libanais va marquer le cinéma international.
Il y a beaucoup de sujets qu’il peut aborder…et on ne manque pas de talents. Ce
qui bloque c’est malheureusement la censure. Parfois, ce sont aussi les
réalisateurs qui ont peur de traiter certains sujets.
*L’armée
de « Lahd » ou Armée du Liban Sud (ALS), du nom du général Antoine Lahd, était
une milice alliée à l’armée israélienne jusqu’à la libération du sud du Liban
en 2000.
Aout 2012
Interview réalisé par Lucile Gasber
Interview réalisé par Lucile Gasber
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